UN AMOUR DE LAMPADAIRE
(Cette consigne nous permettait toutes les divagations. Voici la mienne)
XXX
Il est debout dans son coin. Il rêve. Il n’est plus très jeune, ce lampadaire de Grany, son abat-jour penche un peu sur le côté, comme un chapeau de jeune fille, il m’attendrit. Dès que j’arrive, portée par Audrey, je jappe. J’ai toujours jappé, même si j’ai cinq ans, le bel âge pour une chienne.
- Alizée, dit ma maîtresse, laisse donc ce lampadaire tranquille !
Elle n’a rien compris. Elle croit que je suis hargneuse. Non, je suis plutôt...disons, amoureuse ! Je
tourne autour (difficultueusement à cause de ma petite taille, je dois me faufiler entre le mur et lui) j’inspecte sa silhouette un peu massive, je m’assied sur son pied rond, je tente de lui dire un mot que lui seul comprendra. Du haut de son mètre soixante, il sourcille, il me toise, mais il m’écoute. Je lui chante mon dernier tango :
« Tu es beau comme un réverbère
Tu attires les chiens errants
Sur nous tu répands ta lumière
J’aime aussi ton halo tremblant »
Il fait le sourd, pourtant je lui dis que ma chanson lui est dédiée. Il grommelle. Il n’en a que faire. Je module mes jappements, mais il reste là, impavide et refuse de danser avec moi. Audrey commence à s’énerver et Granny aussi, un peu. Elle murmure :
- Qu’est-ce qu’elle a, Alizée, aujourd’hui. Elle n’aurait pas ses chaleurs ?...
- Non, Granny, Alizée est stérilisée, tu sais.
La belle affaire ! Mon amour pour le lampadaire est pur, rien de charnel entre nous. Quand donc les humains comprendront-ils qu’il n’y a pas que le sexe : je l’aime, c’est tout !
LORRAINE