QUAND ON CHANTAIT...
Quand je regarde ma vie à l’envers, je revois mon frère debout dans le
salon, violon sous le menton, le pupitre, la partition et j’écoute l’archet vibrant.
Oh ! il ne joue pas de savantes sonates, ni de la « vraie » musique, il étudie. Il fait ses gammes, encore et encore. Il a 18 ans, il travaille son solfège. Il serre les mâchoires, tenace, obstiné, il recommence. Maman a fermé sur elle la porte de la cuisine, ma sœur s’est réfugiée dans sa chambre. Moi, je suis là, sous la table (ce n’est pas une table, c’est un carrosse) et je couche tendrement dans l’écrin du violon tapissé de velours bleu mes minuscules poupées en celluloïd. Elles sont trois, petits baigneurs en maillot rouge hauts de 3 centimètres. Non, des princesses qui vont naviguer dans un bateau ailé.
Mon frère arrête ses gammes. Je crois qu’il se récompense, il joue « La sérénade de Toselli »:
« Viens, le soir descend
« Et l‘heure est charmeuse
« Viens, toi si frileuse
« La lune au loin comme un manteau descend »…
J’ai quatre ans, je connais bien les paroles parce que parfois, avec mon autre frère qui joue de la mandoline, le violoniste chante. Ma sœur refuse, elle dit qu’elle n’a pas de voix. Alors les garçons s’accordent et quand ils commencent leurs duos, ils n’arrêtent plus. Je connais « La petite tonkinoise », « Tout est permis quand on rêve », « Ramona », « Valentine »…
Maman dit que ce ne sont pas des chansons pour petites filles. Mais moi, j’aime bien.
LORRAINE