L'AVANCEE EN AGE (3)
2 septembre
Lui a pris sa pension il y a deux ans. Simplement, sobrement, sans beaucoup de commentaires, tel qu’il a toujours été. Il s’est créé son univers. Je n’ai pas vraiment constaté ce qui changeait pour nous, puisque mes absences professionnelles le laissaient souvent seul ; mais la vie a pris un autre tour, quand même. Par exemple, il a peu à peu pris l’habitude de me conduire quand j’ai un rendez-vous , qu’il s’agisse d’un interview d’un reportage en province ou quelquefois, d’une visite chez le médecin. J’apprécie. C’est bien plus agréable d’être menée là où il faut que de tourner en rond pour trouver un parking, qui affiche déjà « Complet ». Ou alors de prendre le métro aux heures de pointe, debout sur la plate-forme, secouée, bousculée, tenant d’une main mon sac et de l’autre ma serviette, essayant de me prémunir contre les secousses et...les passagers et sortant péniblement du cahot pour appréhender –surtout en hiver – la solitude des longues rues désertes et du parc qu’il faut longer pour rentrer chez moi.
C’est vrai, avant je ne pensais pas aux agressions, j’étais insouciante, mais à présent je me méfie des groupes de jeunes dans l’obscurité, je hâte le pas et j’arrive essoufflée. Sans la présence de mon mari et l’aide qu’il m’apporte, aurais-je continué à travailler ? Il n’est pas sûr que je résisterais à la fatigue de journées éprouvantes, l’élan vital a disparu qui m’emportait le matin vers un entretien sur l’enseignement secondaire et l’après-midi vers la rencontre avec une femme chef d’entreprise qui témoignait de la façon dont elle dirige une imprimerie tout en restant épouse et mère !
Je suis sur le côté descendant de la pente, c’est un fait et j’ ai conscience de façon aiguë que la vie en couple, à ce moment-là, garde toute sa signification. Elle aussi prend un tournant ; mais quand on s’est épaulés toute une vie, ce tournant-là reste harmonieux.
Ceux qui ont vécu ensemble pendant quarante ans et plus ne se voient pas vieillir. A quel moment l’expression narquoise de Maurice est-elle devenue ce pli de chaque côté de la bouche ? Quand a-t-il commencé à grisonner, puis à blanchir ? Je ne sais pas, je ne l’ai pas vu. A quoi donc étais-je occupée ? Peut-être parce qu’il reste mince, le visage creusé aux joues, les hanches étroites, garde-t-il une apparence qui ne l’éloigne pas tellement du jeune homme alerte que j’ai connu. Je marche plus vite que lui, l’âge lui a donné une pondération, ou mieux, une tendance à la flânerie que je n’ai jamais eues. Je l’entraîne, il me suit, me rattrape et nous allons alors à mon pas, son bras glissé sous le mien, comme jadis.
PASSANTE
(voir l'image dans son contexte "Pourquoi"Vieux c'est mieux".com)