JE FUS UN BEAU ROSIER...
(Pour en terminer avec Mademoiselle Angèle et la 3ème primaire, (voir textes précédents), une anecdote encore dont j’ai gardé le souvenir)
X
C’était le printemps. Une grande réjouissance préludait à la distribution des prix. Les primaires se réunissaient dans la salle des fêtes et devant le parterre des sœurs installées sur l‘estrade en ordre décroissant selon leur grade, classe par classe nous chantions et mimions pour le seul plaisir des enseignantes, les parents n’étant pas invités.
La robe blanche était obligatoire. Maman réussit des prodiges, elle élargit et allongea adroitement celle que je portais au mariage de ma sœur aînée et pour une fois, je ne me distinguai pas par la modestie de ma mise.
DU PRINTEMPS AU BEAU ROSIER
En seconde année, nous avions interprété « Les quatre saisons » et les grandes des classes de couture avaient habillé comme il se doit, le Printemps, l’Eté, l’Automne et l’Hiver, qui défilaient en chantant en solo chaque couplet tandis que les autres élèves faisaient la haie et reprenaient le refrain. J’étais le Printemps, je fus couronnée de feuille, vêtue d’un justaucorps vert, parsemé de perce-neige et de crocus artificiels. Comme les trois autres « Saisons », j’avait été désignée pour ma voix, claire, ronde, un peu cuivrée et qui ne tremblait pas. Notre Supérieure nous avait fort applaudies, toutes ses rides souriaient. Elle aimait donner son appréciation sur les thèmes choisis et décidé en 3ème année que nous interpréterions « Le Beau Rosier ».
Il en fallait évidemment un pour répondre à la ronde qui chantait à pleine gorge :
« Beau rosier, comment faites-vous
Pour avoir de si belles roses
Beau rosier, comment faites-vous
Pour avor des parfums si doux ? »
Je fus désignée. Un peu étonnée, un peu interdite, j’entendis Mademoiselle Angèle m’interpeller : « Vous serez le beau rosier. Venez au milieu, les autres en cercle autour, allons, vite, qu’avez-vous à lambiner ? »
Elle était manifestement de mauvaise humeur. Nous le devinions à sa façon énervée de claquer dans les mains, de rejeter en arrière ses cheveux blonds retenus par deux peignes, de taper furieusement sur le clavier du piano, de se retourner en criant :
« On recommence tout. Vous manquez de mesure. Et vous, Lorraine, on ne vous entend pas. Plus haut »
Sœur Supérieure fit irruption. Nous plongeâmes dans une révérence. Elle s’installa au bureau de Melle Angèle qui vint battre la mesure devant notre groupe et nous fîmes une répétition générale. « Très bien, très bien. Vous recommencerez la semaine prochaine, je viendrai voir où vous en êtes ».
Et de fait. Tandis que les élèves se tenant par la main tournaient à droite en chantant, je tournais à gauche, seule, tenant un bouquet de roses et m’arrêtais pour répondre :
« Je laisse faire la bonne pluie
Elle rafraîchit mes couleurs
Et quand elle part elle oublie
Des brillants dans toutes mes fleurs »
Nous nous amusions bien. L’entrain se lisait dans le regard de notre Supérieure quelquefois si sévère quand elle nous remettait notre bulletin.
Mais à quelques jours de là comme nous quittions la classe à 4 H.dans le corridor le rang se heurta presque aux parents de Mariette. La sœur tourière, toujours un peu courbée, les introduisait respectueusement dans le grand parloir et l’instant d’après, de sa démarche un peu mécanique, Sœur Supérieure vint les rejoindre. Mais elle s’abstint le lendemain au moment de la répétition.
Je n’eus aucune arrière-pensée. Quand Melle Angèle nous réunit, elle me saisit par le bras comme j’allais prendre ma place habituelle :
- Non, Lorraine, les plans sont changés. Entrez dans le cercle avec les autres. Mariette sera le « beau rosier ».
J’éprouvai un léger vertige, je tentais de comprendre, je cherchais quelle faute j’avais pu commettre et me retrouvai machinalement entre Hélène, mon amie et Paulette, qui me souriait avec compassion. Au milieu, les yeux fiers, Mariette chantait le couplet.
Personne ne me dit rien. Les fillettes étaient gênées, elles aussi devinaient une manœuvre et la rattachaient comme moi à la visite des parents de Mariette. Il me fallut longtemps (des années, je crois) pour comprendre que même Sœur Supérieure, qui m’aimait bien, s’était inclinée devant l’insistance des visiteurs, qui étaient en même temps (tout le monde le savait) de généreux donateurs. On ne pouvait mettre en balance la blessure morale d’une petite fille accueillie par charité et qui aurait dû s’en réjouir. Melle Angèle elle-même était embarrassée. Elle évita de me regarder et quand, désorientée, je tournai à contre-temps, ne me fit aucune remarque.
PASSANTE