LA DEUXIEME CHANCE
(Suite de "Mes apprentisages" 1er mai)
J’eus seize ans en avril. En mai, je terminai mes trois ans de cours du soir avec « Distinction » en dactylo et « Grande distinction » en sténographie. J’étais contente : puisqu’il me faudrait travailler très bientôt, j’avais une flèche à mon arc et j’étais bien décidée à l’utiliser. Employée dans un bureau me séduisait plus qu’un atelier de couture. D’autant que la couture...
J’allais terminer ma 3ème année de secondaire. C’était un passage important et les examens se déroulaient devant un jury officiel, étranger à l’école et témoin tatillon de notre effort...Lequel consistait notamment à créer et réaliser une robe du soir en papier de soie, épinglé sur buste sans qu’on puisse y distinguer la moindre trace d’accroc ou d’infime déchirure. Je me rongeais les sangs. Jamais je ne réussirais ! J’étais maladroite de mes mains et chaque épingle creusait un petit trou perceptible au regard. De plus, si inventer un modèle et en dessiner le patron ne m’inquiétait pas, je fulminais à l’idée de doubler de classe pour un échec dans la section qui aurait dû m’ouvrir l’avenir.
Afin que nous puissions consacrer le mois de juin à nos divers examens de coupe et couture, la Direction organisa ceux de cours généraux dans la deuxième quinzaine de mai. Je réussis avec « Grande Distinction ». Mon désespoir redoubla : malgré ce beau résultat, doubler pour mon incapacité professionnelle me révoltait. J’avais demandé à maman de m’éviter cet affront et cette peine et de m’autoriser à chercher un emploi de « débutante » en sténo-dactylographie. Mais elle hésitait. J’étais très jeune et elle envisageait mal l’idée de me retrouver en monde inconnu ; l’école était plus rassurante...
Et là, j’eus ma deuxième chance. Roger Senlis proposa à maman de m’engager pour son hebdomadaire. Cela m’obligeait à partir de la maison à 7 H. du matin, de prendre le tram jusqu’à la Gare du Midi, puis le train jusqu’à Heverlee où il habitait avec sa famille, et enfin de marcher un bon quart d’heure pour arriver enfin.Il m’offrait des appointements tout à fait raisonnables et promettait de m’initier au métier. Mon contrat m’engageait à travailler quatre jours par semaine, en pension en quelque sorte, car je logerais chez lui pour m’éviter ces épuisants trajets.
Cette fois, maman s’avoua vaincue. Elle accepta l’idée, nous allâmes à Heverlee faire connaissance de la petite famille « d’accueil » où je séjournerais désormais, avec beaucoup de joie et d’amitié.
La roue avait tourné. Je ne dirai jamais avec assez de force ce que je dois à cet homme tranquille qui discerna en l’adolescente que j’étais la volonté et la capacité d’écrire et de s’améliorer.
Mon récit s’achève ici. Merci de m’avoir suivie au cours de ce voyage dans le passé, qui me semble si loin, si loin !...
PASSANTE
L'illustration est empruntée au site www.husqvarnaviking.com, un atelier de couture interactif très intéressant. Vous pouvez m'en croire!...)