LA PRECIEUSE
Que m’importe, Monsieur, que vous m’aimiez ce soir ?
Demain vous verra sot et après demain même
Puisque l’esprit vous vient quand vous avez l’espoir
Que je vous aimerai, et non que je vous aime !
Si je vous aimerai ? Vraiment, qui peut le dire ?
Parfois comme un rayon fait chavirer mon cœur.
Votre air de tragédie, entre nous, me fait rire
Et je pense à part moi vous présenter ma sœur !
Dites-moi donc comment ce mal inexpliqué
Qu’on appelle l’amour vous brûla de sa flamme.
Vous m’avez aperçue dans le chemin boisé
Près de l’étang lunaire où parfois le cerf brame ?
Laissez ma main, voyons ! Contez-moi l’épopée
Qui vous précipita, sans autre conséquence
Que vous voir éperdu et la guimpe fripée
Quand j’exulte à cœur joie de vos extravagances !
Vous m’aimez ? Que c’est bien ! Vous m’aimez ? Que c’est beau !
Et la Carte du Tendre invite au doux langage.
Mais si je suis marquise, vous êtes hobereau,
Ce que vous éprouvez, dites-le sans ambages.
Vous ne pouvez parler ? Mon exigence est vaine ?
Vous balbutiez d’émoi, votre cœur déraisonne !
Mais je veux être aimée, Monsieur, comme une reine
Et non comme Margot dont le caquet claironne.
L’heure fraîchit. Bonsoir. Vous reviendrez demain.
Souffrez que je sois belle, apprenez à le dire :
Un rondeau, un sonnet, un poème divin,
Trouvez quelques beaux vers et prenez votre lyre.
Et je vous aimerai, Monsieur, je vous l’assure,
Conquise par l’amant érudit et lettré.
Car seuls les mots choisis donneront la mesure
De votre cœur épris à jamais consumé.
LORRAINE
Ecrit pour le plaisir d’une digression qui remonte les siècles.
(Tableau de François Bouchez:Madame Bergeret)