SWAMI L'INSOUCIANTE
Swami passait des mains de l'un dans celles de l'autre, et montrait beaucoup de bonne volonté à se faire adopter. Son pelage blanc parsemé de gris lui donnait un air ingénu, d'autant que ses yeux vraiment verts se posaient sur les gens et les choses avec la candeur du bébé qui vient de naître.
David est un dominant, dominant il restera et Swami, c'est visible, restera toujours une enfant. Les rôles sont distribués sans qu'il faille intervenir. Et de fait, sans difficulté (mais non sans rouerie) Swami accepta son rang de seconde; elle comprit dès le premier instant qu'il ne faut en aucun cas lorgner le trône du Chat, et s'adapte aux usages. Elle prend donc grand soin de s'aplatir si, d'aventure, David passe près d'elle, dédaigneux et le front haut. Il accepte cette soumission comme un dû et poursuit sa route; à moins que, mal luné ou voulant affirmer une autorité que personne ne lui conteste, il lui assène une petite chiquenaude sans importance; après quoi, il va à ses affaires. Swami ne s'en formalise guère; apparemment c'est de règle, la hiérarchie se doit d'être respectée.
Mais quelquefois, le ciel bleu, l'herbe tendre, l'envolée d'un oiseau par-dessus les maisons, un parfum de lilas, une brise d'été éveillent en elle l'envi de partager des jeux innocents: courir très vite à travers tout, grimper vivement aux arbres, se cacher pour être retrouvée, guetter derrière le muret le passage plein de morgue de David et, subrepticement, l'attraper par la queue. Diable! Il s'arrête tout de bon, ce manque flagrant de respect l'irrite, mais elle, jouant encore, lui flanque très vite une ou deux estocades gentilles tandis qu'il secoue la queue avec rage. Alors, elle, toute petite, toute finaude, connaissant par coeur le code des félins, se couche sur le dos, de tout son long, ventre offert, gorge offerte, sachant bien que jamais un chat puissant n'attaque un chat minuscule et sans défense, qui fait soumission. Il la flaire un instant et passe outre.
Certes, ces gamineries l'agacent. Et pourtant, quelquefois, par je ne sais quelle complicité, s'étant peut-être entendus dans leur langage, ils décident de nous rendre fous. Ce sont deux larrons en foire. La maison devient un carrousel, un cirque, un lieu d'atterrissage, un tremplin pour hautes voltiges. Puis, soudain, l'un s'assied et lustre à petits coups paisibles son poil blanc tacheté, l'autre s'étend et tourne vers nous des yeux limpides qui nous mesurent, s'attendrissent et se ferment avec confiance, tandis que le ronron chante dans son gosier.`
Et voilà pourquoi, sans doute, malgré leur scélératesse raffinée, nous les aimons, ces chats!
PASSANTE (A suivre)
Photo: ce n'est pas Swami, mais ce chat anonyme illustre bien ses équipées!