LA BOITE A SURPRISES (2)
J’avais promis de donner la parole à ma boîte à surprises .Je lève le couvercle et tout de suite me saute en riant au visage mon tout premier poste de journaliste, la rue des 4 Fils Aymon et l’ancienne maison qui abritait le quotidien, où pour s’annoncer, on frappait à l’huis à l’aide d’un heurtoir ciselé. Elle a disparu depuis belle lurette dans le fatras des nouveaux immeubles hardiment construits dans l’euphorie ambiante.
La guerre touchait à sa fin, Bruxelles était libre, on portait de courtes jupes écossaises mais encore des semelles de bois. Quand, le 8 mai 1945 la radio annonça la capitulation de l’Allemagne et la fin de la guerre, on s’est tous embrassés dans une fraternité sans pareille, avec des larmes dans les yeux. J’ai fumé ma première cigarette (anglaise, bien sûr) cédant à l’insistance des collègues, pendant la pause inattendue et l’immense joie d’un soulagement définitif. Je ne pensais pas qu’il resurgirait, ce moment si lointain et si émouvant.
Mais il est là, à côté d’une photo en veste bleu marine à l’allure militaire (encore !). Quand je l’enfilais, je t’entends me dire : « Oui, mon général ». Et je me souviens de ton sourire taquin si je protestais. Comme le souvenir sinue selon son caprice ! Voici mes dossiers professionnels au fond d’un tiroir. Je croyais pourtant l’avoir fermé à clef pour toujours. Mais il garde la trace de dossiers épais, de notes prises à la hâte, de rendez-vous d’affaires, d’agendas bourrés et que sais-je encore !
Dans ma boîte à surprises, il reste encore mon tiroir secret. Quand il s’ouvre, tout son contenu soubresaute et surgissent pêle-mêle les rendez-vous manqués, les mots que je n’ai jamais dits, les chagrins étouffés, la lettre non écrite, un ruban bleu de petite fille, et la longue file des âmes enfuies pour toujours. Des visages surgissent qui ne se connaissaient pas et se retrouvent ensemble dans mon cœur. Des images heureuses émergent du passé et me sourient, cette jeune femme sur un quai de gare se retourne et je ne la reverrai jamais ; et voici ce garçon dans la fleur de l’âge, tué dans une autre guerre par une balle ennemie ; dans la poche de son blouson, ma dernière lettre imprégnée de son sang. C’était mon neveu.
Ma boîte à surprises manque d’ordre. Elle contient aussi ma solitude et ton nom, à jamais perdu.
LORRAINE
"Orchidées" de P. Wagemans