CHANSON
“On sent les roses et les lilas
Dans la maison de Georgina”...
Maman chantait en étendant les cordes à linge à travers la cuisine. Assise sur mon petit banc, j’écoutais en triant avec sérieux les billes rouges et vertes qui, bien calées dans une boîte percée de trous appropriés, dessineraient à mon gré un chemin, une maison, un arbre. Moi seule le savait. Les grandes personnes qui n’y connaissaient rien s’écriaient:
- C’est quoi, ces billes? Tu fais un carré?...
Maman continuait sa chanson en pendant les draps de lit et mes frères se pliaient en deux pour passer dessous au plus vite. Nous étions six à la maison. Moi, j’aimais la chaleur de la cuisine, l’odeur du linge frais légèrement azuré; maman délayait toujours une boule de “bleu” (je n’ai jamais connu son vrai nom) dans la deuxième eau de rinçage.
Elle faisait parfois “tralala, tralalère” quand elle oubliait les paroles, ou peut-être parce que le souffle lui manquait.
“On fait les cheveux et la toilette
Pour amuser ces demoiselles”...
Alors je rêvais. Je voyais de belles jeunes filles dans une chambre. N’avaient-elles pas un fer à friser, un miroir cerclé d’argent, une lampe ronde et des roses, des roses, des roses...
Ma soeur rentrait en coup de vent; sa jupe marine d’étudiante me frôlait et j’entendais:
- Mais qu’est-ce que tu fais en-dessous des draps? En voilà une idée!
- Elle joue, répondait maman en ôtant son tablier.
Nous allions à la salle à manger. Il faisait bon. Mon père servait le café et coupait le pain.
Je crois que c’était le bonheur.
(Tableau de Renoir)
LORRAINE